Il y a des histoires comme ça, dont on a tout à apprendre. Si le travail des gardiens de phare a longtemps était une évidence en Bretagne, ce n’est pas forcément le cas ailleurs. Serge Coatmeur, le dernier gardien de phare français, a accepté de nous raconter la sienne. Un récit plein de sagesse qu’on a souhaité partager avec vous.
Le dernier gardien de phare français est un Breton
C’est en refermant une dernière fois la porte du phare de l’île de Sein pour prendre sa retraite que Serge Coatmeur a mis un point final au métier de gardien de phare en France. Depuis 2016, toutes nos sentinelles des mers sont entièrement automatisées, les phares bretons y compris. La fin d’une époque qui marque également la fin d’un héritage pour de nombreux Bretons. Né à Plogoff et issu d’une famille de gardiens de phare, Serge Coatmeur a exercé sa profession pendant 41 ans. À l’âge de 18 ans, il effectue son premier remplacement au phare des Pierres Noires, le premier d’une longue série. Par la suite, il passera par le phare du Four, Ar Men, le Petit Minou, Portzic, la Vieille, Calvi en Corse avant un retour en Bretagne à Penfret aux Glénans, Concarneau et enfin en 1997 au phare de l’île de Sein où il terminera sa carrière. Si vous avez l’œil, vous avez probablement noté que Serge Coatmeur a essentiellement gardé des bâtiments situés en mer ou considérés comme tels.
Gros plan sur le métier des gardiens de phare
Il s’agit donc principalement d’une affaire de Bretons. À l’instar des marins qui se transmettent leur savoir et leur passion de générations en générations, il en a été de même pour les gardiens de phares. Sur terre comme en mer, le rôle de ces inébranlables bâtisses a toujours été essentiel. Garants de la sécurité de ceux qui naviguent, les sentinelles des mers comme on aime les appeler, sont de véritables repères qui rassurent nos marins. Pourtant, dans l’ombre de leur halo de lumière, il y a longtemps eu des hommes pour les faire briller.
« On produisait rien, on produisait de la sécurité » Serge Coatmeur
On entrait souvent dans le métier pour effectuer des remplacements. Mais on n’avait pas non plus atterri là par hasard. C’était souvent un héritage familial. Petit, on avait été bercé par des histoires sur la profession. Une fois le concours en poche, on devenait titulaire de la fonction publique. Un métier d’État donc, qui consistait principalement à veiller à ce que, la nuit ou par temps brumeux, la lumière du phare ne s’éteigne jamais. Les journées étaient rythmées par le lever et le coucher du soleil. De cela, dépendait l’extinction du feu. Il fallait ensuite nettoyer la lanterne, démonter le brûleur, faire la cuisine et entretenir le bâtiment. Au moment du soleil couchant, c’était le moment de remonter le brûleur, rallumer le feu et veiller à ce qu’il ne s’éteigne ou qu’il ne provoque pas d’incendie jusqu’au petit matin.
Vous imaginez bien que dans un phare comme celui de la Jument, perdu dans les eaux tumultueuses de la mer d’Iroise, le temps ait pu paraître bien long à ceux qui le gardaient.
Gardiens de phare : des vies hors du commun
La vie des gardiens de phares n’avait rien de classique. Loin de leurs familles, notamment pour ceux qui étaient en mer et qui ne rentraient parfois que tous les 15 jours, ils ont appris à appréhender le temps sous un angle différent. Serge Coatmeur nous parle d’un rythme très lent qui, rythmé par les différentes tâches de la journée, finissait par passer vite. Même si les matinées étaient occupées, encore fallait-il trouver de quoi tuer le temps le reste de la journée. Dans un espace restreint et sans le confort moderne que l’on connaît aujourd’hui, Serge Coatmeur s’est tourné vers les livres. Un peu de pêche quand le temps le permettait et une petite télé qu’il n’allumait que le soir.
« Il fallait savoir ne rien faire, être dans ses pensées et ça passait plus vite » Serge Coatmeur
En raison de ses particularités, le métier de gardien de phare ne convenait pas n’importe qui. Il fallait être solide, solitaire et avoir un rapport particulier avec la mer. Comme si une sorte de prédisposition pour supporter la solitude était requise. Les gardiens se devaient aussi d’être polyvalents. Chaque bâtiment avait sa particularité. Sur l’île de Sein par exemple, ils étaient également chargés de la production d’eau douce et de l’électricité. Une vraie responsabilité envers les insulaires qui ajoutait de l’importance et du respect pour ces hommes pas comme les autres.
Garder le phare contre vents et marées
La plupart de ses 41 années de service, Serge Coatmeur les a passées en mer. Souvent isolé mais surtout régulièrement chahuté par les éléments. Car aujourd’hui, qui n’a jamais vu ces images époustouflantes d’un phare pris d’assaut par de gigantesques paquets de mer ? Grâce aux hélicoptères et aux drones, nous sommes désormais quotidiennement témoins d’un affrontement sans merci entre des eaux déchaînées et d’inébranlables bâtisses. Serge Coatmeur se souvient qu’innocemment, lui, prenait son café dans la cuisine pendant que dehors, la tempête faisait rage. Il se rappelle aussi avoir dû amarrer les portes des placards dans les phares d’Armen et de la Jument tellement ils bougeaient.
« Ça remuait, ça craquait et ça pétait » Serge Coatmeur
Bien plus tard, il découvrira ces images folles et pendra conscience de ce qu’il a vécu. À l’abri de sa forteresse imprenable, notre gardien de phare a parfois attendu une relève qui n’est jamais venue à cause de mauvaises conditions climatiques. Après 15 jours en mer, il a donc dû encore attendre. Une sentence que les hommes ne pouvaient contrôler et qu’ils devaient accepter. Pour exercer la profession, il fallait en plus d’être solitaire et solide, avoir un degré de frustration très bas. Si le bateau qui venait les chercher ne pouvait pas assurer la relève ou qu’il n’y avait plus de pain, il fallait l’accepter, rester et manger autre chose.
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Gardien de phare : des bons comme des mauvais moments
Évidemment durant sa carrière, Serge Coatmeur a connu des moments difficiles. Des chalutiers qui s’abîment en mer ne laissaient jamais leurs anges gardiens insensibles. Puisqu’il était de leur devoir d’assurer la sécurité de ceux qui prenaient la mer, chaque disparition les attristait profondément. Mais au-delà des difficultés et des particularités de ce métier hors du commun, Serge Coatmeur rassure : des bons moments, il en a vécu. Car si vivre dans un phare peut paraître rude, ça n’en est pas moins une expérience époustouflante ! Les constructions sont magnifiques et robustes, les points de vue et les paysages, à couper le souffle. Au phare les Glénan, considéré comme étant en mer bien que sur une petite île, les familles des gardiens pouvaient venir passer quelques jours dans un appartement prêt du bâtiment. Et quand on connaît la beauté de cet archipel breton, on imagine que ces moments privilégiés avec les siens ont forcément laissé des souvenirs. D’ailleurs, il est possible de se glisser dans la peau d’un gardien le temps d’une nuit ou deux. En effet, le phare de Kerbel dans le Morbihan a été racheté pour être transformé en un des quelques logements insolites de Bretagne. Vous nous en direz des nouvelles !
Sans s’en rendre compte, les gardiens de phare ont éclairé un nombre incalculable de trajectoires. N’allez certainement pas dire ça à Serge Coatmeur qui décrit son métier comme ordinaire, qu’il a aimé exercer. Chacun en pensera donc ce qu’il voudra. Pour nous, ces histoires font partie de l’ADN des bretons et ne doivent jamais tomber dans l’oubli, au même titre que celles de nos valeureux Terre-Neuvas.