12 Mars 2019. Le Grande America, un porte-conteneur roulier battant le pavillon italien sombre au large des côtes Atlantiques françaises emportant avec lui dans les fonds marins 2200 tonnes de fiouls lourds, 365 conteneurs et 2000 véhicules. Si les côtes bretonnes ont des chances d’être épargnées, ce n’est pas le cas de nos voisins aquitains, basques et espagnols qui risquent d’avoir des galettes de fioul sur leur magnifique littoral. Ce triste fait d’actualité nous permet de revenir sur les différentes catastrophes environnementales que la Bretagne a subi ces 50 dernières années.
Quelles sont les marées noires les plus marquantes en Bretagne ? Et quelles sont les méthodes utilisées pour protéger notre littoral ?
Les marées noires en Bretagne
Mars 1967, Le Torrey Canyon : La première des marées noires en Bretagne
Le capitaine du bâtiment américain Torrey Canyon souhaite prendre un raccourci pour rejoindre le pays de Galles plus rapidement. Il s’échoue sur une île au large des côtes britanniques déversant 120 000 tonnes de pétroles lourds. On ne le sait pas encore, mais la première marée noire dévastatrice vient de commencer. À l’époque, les moyens mis en œuvre pour freiner la pollution n’existent pas encore.
La solution proposée est radicale : pour stopper l’avancée des nappes, les Anglais envoient des dizaines de produits chimiques sur et autour du bateau et y mettent le feu … Le cargo disparaît, sauf que les produits utilisés étaient bien plus nocifs que le pétrole… 3 semaines plus tard 300 km de littoral costarmoricain est touché, 25 000 oiseaux vont périr et l’écosystème mettra des années avant de s’en remettre.
1976, L’Olympic Bravery et Le Boehlen : Une année tragique
Considéré comme la plus petite des marées noires en Bretagne, l’échouage de l’Olympic Bravery en janvier 1976 à quelques centaines de mètres d’Ouessant a marqué les esprits. L’économie locale est basée sur le tourisme, et les 4km de mazout sur les côtes ouessantines ont fait du mal aux iliens lors de l’été 1976.
En octobre, c’est au tour de l’île de Sein de subir une marée noire. Une tempête au large des côtes fait rage, et le pétrolier est-allemand Le Boehlen le prend de plein fouet.
400 tonnes de mazout toucheront l’île. Un moyen technologique innovant pour l’époque permettra cependant d’extraire 2 000 tonnes de l’épave. Pour le reste, tout sera dilué dans l’océan au fur et à mesure des années… Les Sénans reprennent une vie normale rapidement mais n’oublient pas ce douloureux épisode ayant coûté la vie de 28 personnes. Dans ce macabre bilan, 25 membres de l’équipage et 3 personnes ont sacrifié leur vie pour éviter un désastre écologique.
Mars 1978, L’Amoco Cadiz : La catastrophe du siècle
Cette catastrophe mériterait un article à part entière tant il y a de choses à dire dessus. Le bilan du naufrage de l’Amoco Cadiz est très lourd. 200 000 tonnes de pétrole et 4 000 tonnes de fioul atteignent 400km de côtes bretonnes. 10 000 oiseaux mourront, 35 espèces de poissons et des centaines d’espèces de coquillages absorberont des substances polluantes. Il va falloir 7 ans pour que les espèces marines s’en remettent. C’est à cause de ce bilan que le naufrage porte le macabre nom de « catastrophe écologique du siècle ».
L’envie de l’armateur de faire toujours plus de profits pousse la population à être violemment en colère. En effet, le pétrolier devait se faire désarmer, mais la compagnie a souhaité faire un dernier voyage. L’affaire sera traînée en justice par les élus locaux, dont Alphonse Arzel, maire de Ploudalmézeau, et tous les Bretons. Un long combat judiciaire de 14 ans remporté par la pression de toute une région sur les autorités internationales.
Mars 1980, Le Tanio : Au bord de l’extinction
La Bretagne n’a pas eu le temps de se remettre de sa dernière marée noire qu’une seconde catastrophe survient 2 ans presque jour pour jour après l’Amoco Cadiz. C’est au tour du pétrolier Tanio de s’échouer avec 26 000 tonnes de fiouls lourds. Si une partie de l’épave est rapidement récupérée, la seconde partie va sombrer rapidement emportant avec elle 8 marins. 6 000 tonnes vont se déverser dans la mer, touchant les mythiques Côtes de Granit roses.
Proche de ces côtes, se trouve la réserve des Sept Îles. C’est la réserve d’oiseaux marins la plus grande de France. 40 000 oiseaux vont y mourir dont 3 espèces autrefois prolifiques sont maintenant en voie d’extinction. Malgré l’aide d’associations, la réserve a perdu sa richesse d’antan, et ne risque pas de la retrouver de sitôt.
Décembre 1999, L’ Erika : Un tournant déterminant
Là aussi, cette marée noire mériterait un article entier. En décembre 1999, la Bretagne s’apprête à fêter le passage à un nouveau millénaire. Mais la fête prend fin quand l’Erika, un tanker maltais low cost, fait naufrage au sud de la Bretagne. 11 000 tonnes de fioul sont récupérées in extremis, mais les 20 000 tonnes restantes forment une nappe d’hydrocarbure avançant rapidement sur les côtes françaises.
Une nouvelle fois, le bilan est lourd. 150 000 oiseaux meurent de cette marée noire soit 10 fois plus que l’Amoco Cadiz 20 ans plus tôt. 80% des Guillemots de Troil présents dans la région disparaîtront. Les mammifères marins et la flore locale subiront de lourdes conséquences et s’en remettront difficilement. Plus qu’un naufrage, cette énième catastrophe est le symbole des dysfonctionnements de la mondialisation, et marque un tournant déterminant dans la législation.
L’évolution des méthodes
Quand le naufrage a lieu
Malheureusement quand le mal est fait, il est impossible de revenir en arrière. Mais mine de rien, de nombreuses méthodes ont été mises en place pour limiter les dégâts des marées noires. Lors du Torrey Canyon, l’armée anglaise a tout brûlé, pensant bien faire. Bien entendu, il n’en était rien. Maintenant, dès qu’un naufrage a lieu, de grands moyens sont mis en œuvre pour arriver le plus rapidement possible sur le lieu du naufrage et ainsi sauver les conteneurs et autres cuves qui pourraient être dangereux.
Si par malheur un bateau venait à couler avec ses cuves, l’objectif est de récupérer le pétrole dans les fonds marins. Les autorités utilisent donc un « récupérateur », une immense machine capable d’aller très profond pour récupérer le pétrole et autres produits présents dans l’épave.
Comment freiner les nappes d’hydrocarbures
Admettons que les récupérateurs et les bâtiments affrétés n’ont pas été suffisamment efficaces pour récupérer tout le pétrole. Ce dernier va donc former des nappes qui suivront logiquement les courants. Elles se déplaceront vers nos côtes et il faut stopper cette avancée. Avec un système d’épandage tout d’abord, des dispersants permettent à la masse de pétrole de se détacher entre eux et ainsi ne pas suivre l’effet des marées.
Cette solution n’est pas écologique, mais c’est une méthode qui reste efficace pour préserver nos côtes. Et enfin, il est possible de mettre en place de barrages flottants, proche de nos lieux de vie et de travail. Ces barrages flottants vont avoir 2 effets : ils repoussent les différentes nappes d’hydrocarbures mais également retiennent une partie d’entre elles, permettant ensuite de les récupérer avant qu’elles ne touchent nos côtes.
Les méthodes utilisées sur terre
Au fur et à mesure des années et des marées noires, les Bretons ont amélioré leurs outils, et optimisé leurs pratiques sur terre. Si des méthodes telles que le ramassage à la main et en tracteur sont encore utilisées, nous avons dorénavant la possibilité de nettoyer les côtes rocheuses sous haute pression. Il existe aussi la technique du nettoyage à l’aide d’un rouleau oléophile.
Pour le stockage, il y a deux solutions plus ou moins idéales : la tonne à lisier ou l’enfouissement. Et enfin se pose la question de la prise en charge des animaux. Il faut bien évidemment les sauver, les laver, les réalimenter, les réaccoutumer avant de les relâcher. Cela prend du temps mais c’est indispensable pour préserver notre écosystème.
Les lois entrées en vigueur
Il y a eu un avant, et un après Erika. Avant les années 2000, les naufrages étaient nombreux, car les armateurs et patrons des grandes sociétés cherchaient le profit et le rendement, avant la sécurité. Certains bâtiments à l’origine de marées noires comme l’Erika, l’Amoco Cadiz ou le Tanio, ne devaient plus être en circulation.
Mais à l’époque les coupables payaient seulement les dommages économiques. Les dégâts écologiques et sociétales sont dorénavant pris en compte. Les amendes sont beaucoup plus salées, et les coupables s’y reprennent à deux fois avant d’envoyer un navire sur les mers avec des centaines de milliers de tonnes de pétrole.
Résultat, en 20 ans le nombre de catastrophes en mer a considérablement chuté.
S’il est difficile de lutter contre les grands groupes coupables de ces tragédies, il est néanmoins très simple de lutter en faveur de la protection du littoral via des associations qui ont continuellement besoin de main d’œuvre pour le nettoyage des plages ou le bien-être des animaux marins.
Les marées noires en Bretagne doivent faire partie du passé mais on n’est pas à l’abri d’une nouvelle catastrophe. Alors il faut continuer à lutter en faveur de l’environnement. Car, et il est toujours bon de le rappeler, ici en Bretagne le littoral n’a pas qu’une allure de carte postale. C’est à la fois l’outil de travail, et l’endroit où l’on vit.