L’usine marémotrice de la Rance vient de souffler sa 53ème bougie, l’occasion de vous expliquer le rôle que celle-ci occupe dans le paysage énergétique breton. Plus qu’une histoire digne d’une série rocambolesque, c’est un pan de notre patrimoine que nous souhaitons vous présenter. Rendez-vous au cœur de La Richardais et de Saint-Malo (35), entrons dans les entrailles bétonnées de ce géant, unique en son genre.
Qu’est-ce qu’une usine marémotrice ?
Lorsque vous allumez la lumière chez vous, vous êtes vous déjà demandé d’où venait l’électricité utilisée ? Nous connaissons tous les usines nucléaires et les éoliennes qui permettent de nous éclairer et plus largement, de vivre notre quotidien avec nos habitudes modernes. Plus rares sont ceux qui connaissent l’existence et le fonctionnement d’une usine marémotrice :
L’idée est de produire de l’électricité à l’échelle industrielle, en utilisant la puissance des marées là où l’amplitude du marnage (différence de hauteur entre les marées haute et basse) est le plus important.
C’est grâce aux marées basses et aux marées hautes qui se succèdent que la production d’énergie est possible avec ce style d’usine. Enfilons quelques instants la casquette de Jamy de « C’est pas Sorcier » pour bien comprendre le fonctionnement du marnage. Nous comptons un rythme de deux marées par jour, appelées « semi-diurne » et que nous devons à la rotation de la Terre sur elle-même. Tout est une question de gravité et de positionnement des astres.
Quand les astres jouent sur le marnage !
Le phénomène des grandes marées et des mortes eaux est dû à la position qu’occupent la Lune et le Soleil par rapport à notre chère planète bleue. Nos océans sont attirés par la Lune ce qui a pour effet d’élever le niveau de la mer de chaque côté de la terre. C’est parce que nous sommes capables de calculer sur des milliers d’années les mouvements de ces astres, que nous pouvons prédire exactement les horaires et les amplitudes des marées.
Pour qu’une usine marémotrice puisse être opérationnelle, le lieu d’implantation est le plus important. L’infrastructure qui accueille les turbines doit obligatoirement être positionné dans un bras de mer ou un estuaire où le marnage et la profondeur sont conséquents. Les conditions naturelles sont primordiales et limitent les installations :
- Le marnage doit être compris entre 10 et 15 mètres de hauteur
- Une profondeur de 10 à 25 mètres
- Un sol rocheux en mesure de soutenir l’édifice
Pas si évident de trouver un endroit qui réunit l’ensemble de ces conditions, nous estimons entre 1,5 et 2% la capacité de production marémotrice au niveau mondial. Outre les sites côtiers, d’autres facteurs environnementaux et sociétaux viennent complexifier de nouvelles installations.
Quelques chiffres pour connaître l’usine marémotrice de la Rance
L’usine marémotrice de la Rance fut la plus puissante au monde jusqu’en 2011, année où elle fut détrônée en termes de productivité énergétique par la Corée du Sud et son usine de Siwha.
À ce jour, il en existe seulement 5 au monde :
- La Rance en Bretagne (1966)
- Jiangxia en Chine (1980)
- Annapolis au Canada (1984)
- Kislaya Guba en Russie (2004)
- Siwha en Corée du Sud (2011)
Notre usine bretonne se distingue des 4 autres car elle est la seule à utiliser une turbine dans deux sens, à marée haute mais aussi à marée basse. C’est justement pour cette fonctionnalité, qu’elle est unique en son genre, cocorico !
Quels sont les atouts de l’usine marémotrice de la Rance :
- L’énergie marémoteur est la 1ère des énergies renouvelables
- Jusqu’à 4 cycles de production par jour contre 2 pour les autres usines
- Représente 17% de la production de l’énergie en Bretagne
- Implantée sur le lieu des plus grandes marées d’Europe avec une hauteur moyenne de 8,2 mètres
- Hauteur de marnage pouvant atteindre les 13,50 mètres
- Reçoit 50 000 visites par année
- 4ème site industriel le plus visité en Bretagne
Pour vulgariser, l’usine marémotrice de la Rance produit sur un an l’équivalent d’une distribution d’énergie nécessaire pour une ville de la taille de Rennes, soit 220 000 personnes. À savoir, la Bretagne n’est pas à ce jour auto-suffisante en énergie, puisqu’elle importe 83% des ressources nécessaires. Ce paramètre était de 95% en 2010 et fait partie des priorités des pouvoirs publics dans la région. Souhaitant augmenter la production locale des énergies renouvelables avec notamment, l’éolien offshore.
Une belle dame d’un demi-siècle !
53 ans ça se fête ! Pour célébrer cette nouvelle bougie notre équipage a eu la chance de visiter le site, de fond en comble. Partir à l’aventure dans cet immense bâtiment, quelques mètres en dessous du niveau de la mer, n’était pas pour nous déplaire. Tout d’abord, il faut bien se rendre compte de l’ampleur titanesque de ce projet, qui a vu le jour le 26 novembre 1966, date à laquelle l’usine fut inaugurée par Charles de Gaulle en personne.
Six années de chantiers furent nécessaires pour construire cet édifice, période où 800 ouvriers ont coopérés jour et nuit dans des conditions naturellement hostiles. Il faut dire que sur les plans, l’usine fait un bon kilomètre de long et qu’elle se situe au beau milieu d’un fleuve. Les matières premières pour sa construction parlent d’elles-mêmes :
- 350 000 m3 de béton
- 15 000 tonnes de métal
- 460 000 m3 de sable
Notre exploration dans les entrailles de l’usine marémotrice de la Rance
Les règles de sécurité sont strictes, casque et gilet jaune sont obligatoires, pas de vague au pays de l’hydro-énergie. Au fur et à mesure que l’on descend dans l’usine marémotrice de la Rance, un sentiment de petitesse s’empare de nous, l’édifice est gigantesque. Même depuis l’extérieur, en roulant sur le pont reliant Dinard à Saint-Malo, il est difficile d’imaginer l’ampleur du bâtiment. C’est sans doute pour cela que nous fûmes amusés mais peu surpris de voir les mainteneurs rejoindre leurs postes en vélo.
Comme l’impression d’être dans un film de science-fiction !
Pas moins de 86 personnes s’activent tous les jours sur place pour entretenir et gérer le lieu. Nous avons même assisté à l’entretien des énormes pales, ces hélices immergées sous l’eau et tournoyant pour produire l’électricité avec la puissance des marées. Au fil du temps, un technicien nous apprend que la nature empiète sur cette technologie, puisque de nombreuses moules viennent s’y fixer. C’est pour cela qu’un processus d’entretien et une organisation millimétrée comme un maître horloger sont primordiaux.
Que dire sur l’envasement de la rance ?
Depuis la mise en service du barrage de la Rance et de son usine marémotrice en 1966, les sédiments se sont accumulés dans l’estuaire et ont conduit à des modifications dans l’écosystème.
Le barrage de la Rance pollue-t-il son environnement ?
Une question qui n’est pas si évidente que cela ! Tout d’abord, il est compliqué d’évaluer l’impact qu’a le barrage sur les sédiments de manière précise. Il est prouvé que c’est un phénomène naturel, qui s’observe dans tous les estuaires. Il est impossible à éviter, tout est une question de gestion des ressources. La véritable question est de savoir comment cette activité humaine accélère et modifie l’ampleur de cette situation ?
Un objectif est fixé : stabiliser les sédiments sur la Rance.
C’est le ministère de l’écologie en personne qui a lancé les actions, avec une mission précise : approfondir la connaissance du phénomène de sédimentation, définir les responsabilités des différents acteurs et construire un plan de gestion pérenne des sédiments. Pour y parvenir, tout le monde est sur le pont et c’est un véritable travail collectif qui est à ce jour en cours entre : les collectivités territoriales, le Conseil Régional, le monde associatif et le concessionnaire actuel du site EDF.
Certaines solutions pour utiliser les sédiments sont déjà pointées, l’enjeu est désormais de trouver un modèle économique :
- Travaux routiers
- Apports en agriculture
- Recyclage en briques de construction
Même si l’hydroélectricité est une énergie propre et renouvelable, un demi-siècle plus tard, si le même projet arrivait sur la table sa construction serait impensable. Du haut de son demi-siècle, l’usine marémotrice de la Rance n’en est qu’au tout début de son histoire. Il ne tient qu’aux différents acteurs économiques qui interagissent avec elle d’écrire ses prochains chapitres. Une chose est certaine, cette belle dame a tout d’une grande et il ne tient qu’à l’homme d’embellir son visage et ses usages pour les prochaines générations. Et pour continuer dans une histoire d’eau et de courant, connaissez-vous les principaux fleuves de Bretagne ?