Hillary Clinton aux États-Unis, Angela Merkel en Allemagne ou encore Theresa May pour le Royaume-Uni. Des mains de fer dans des gants en velours agissant sur le devant de la scène internationale et pourtant… Cela ne date pas seulement d’aujourd’hui ! Saviez-vous que l’histoire de la Bretagne possède son lot de femmes fortes et influentes ?
L’espace de cet article, téléportons-nous dans l’univers le plus dangereux et le plus viril qui soit. Celui de la piraterie, de la guerre et de la noblesse chevaleresque ! Figurez-vous que parmi ces joutes à priori masculines, se trouve une femme qui a fait du « reuz ». Entre amour, haine et flibusterie, Jeanne de Belleville fut surnommée la « Tigresse de Bretagne ».
Mais comment une femme issue d’une famille et d’un milieu noble est devenue la plus terrifiante des corsaires de nos côtes bretonnes ?
Le Héros aux mille et un visages
Les personnages légendaires et charismatiques ne naissent pas du jour au lendemain sans crier gare, ils se construisent au gré des évènements. Puis, suivant si leurs expériences sont positives ou négatives, selon les rencontres qui viennent sur leur chemin, ce personnage deviendra le Gandhi de nos soucis ou au contraire l’Edward Teach de nos jours heureux.
Pour bien comprendre comment une noble en tout point « blanche comme une colombe » a pu devenir un monstre de férocité, il faut remonter à la genèse de ce virement de bord.
Retenez bien ce que nous allons évoquer maintenant, car cela va vous permettre de mieux comprendre la suite de ce récit sur Jeanne de Belleville.
Selon la théorie de Campbell, les principaux mythes présents à travers le monde, et qui ont survécu à des milliers d’années, partagent la même structure fondamentale, qu’il nomme monomythe. Dans l’introduction du Héros aux mille et un visages, il résume le monomythe en une citation devenue célèbre :
« Un héros s’aventure à quitter le monde du quotidien pour un territoire aux prodiges surnaturels : il y rencontre des forces fabuleuses et y remporte une victoire décisive. Le héros revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches. »
Ainsi, la transformation de Jeanne de Belleville commença sans que celle-ci puisse s’en rendre compte, lors de la guerre de Succession de Bretagne.
1341, quand la noblesse bretonne se déchira pour son trône
Nous voilà le 30 août 1341 et le Duc de Bretagne actuel Jean III vient de décéder sans avoir désigné de successeur au préalable. Et ça, c’était vraiment pas très professionnel pour l’époque ! Cette mort sans descendance plonge la Bretagne indépendante et prospère, dans une guerre sans merci.
Alors systématiquement, comme dans chaque royaume ou le roi vient à rendre l’âme, nous assistons à un jeu de chaises musicales pour savoir qui va poser son postérieur sur le trône.
Pour faire simple, le pouvoir en Bretagne se dispute entre deux personnes, qui elles-mêmes prêtent allégeance à deux souverains différents.
D’un côté nous retrouvons Jean De Montfort, demi-frère de Jean III qui prête l’hommage lige (qui veut vulgairement dire « ok, je rejoins ta team ») à Édouard III, qui vient fraîchement de s’autoproclamer Roi de France, alors qu’il vient d’Angleterre. Au calme.
De l’autre, nous retrouvons Jeanne de Penthièvre qui est la nièce du défunt Jean III et dont le conjoint Charles De Blois prête l’hommage lige à son oncle Philippe VI de Valois (l’équivalent des Lannister dans l’histoire des grandes familles françaises). Venant de se faire piquer la place du trône français par Édouard III.
Les repas en famille devaient être très animés à l’époque.
Cette chamaillerie princière monta dans les tours et se termina par la capture de Jean de Montfort par les français, puis l’installation au pouvoir de Charles de Blois. Qui par son mariage avec la nièce de Jean III devient le nouveau boss de Bretagne.
Mais tout ça pour en venir où ?
Comment la guerre de Succession de Bretagne fit naître une tigresse ?
Revenons rendre visite à notre tendre Jeanne de Belleville, à ce moment mère de famille comblée et épouse d’un noble breton répondant au nom d’Olivier IV de Clisson. Sauf que voilà, notre valeureux chevalier soutient la maison de Montfort (qui est son demi-frère… Comme le monde est petit !) et pas celle de Charles de Blois.
Le chevalier est courageux de nature et pour peu qu’il soit breton en prime, son intrépidité est sans frontière.
C’est justement les frontières bretonnes qu’il quitte en 1343, quand il reçoit une lettre pour participer à un tournoi à Paris. Une trêve entre les clans rivaux vient d’être officialisée, Édouard III quitte la France pour s’installer en Angleterre.
Peut-être n’avait-il pas prêté attention à la signature de cette invitation qui était signée par le nom de Philippe VI de Valois (soit le leader de la team adverse lors du conflit pour le trône de Bretagne) ? Toujours est-il qu’une fois arrivé à la capitale, le fourbe de Valois ne manqua pas de s’emparer de Olivier IV de Clisson puis de le faire décapiter aussitôt fait. Voilà un bel exemple de trahison et de bassesse, digne des aventures les plus épiques.
Sa tête fut fichée sur une pique puis envoyée à Nantes, pour l’y faire trôner sur la place. Jeanne de Belleville vînt la contempler, folle de rage et de douleur. Elle fît le serment à ses deux fils de venger leur père sans attendre, alors que son aîné n’a seulement que quatorze ans.
Vous souvenez-vous de la scène mythique de Star Wars, lorsque toute humanité quitte Anakin Skywalker pour devenir Dark Vador ? Cette irréversible transformation arrive lorsque celui-ci perd sa bien aimée et que plus rien ne peut le raccrocher à des sentiments décents.
C’est l’insupportable sentiment de mort honteuse de son mari qui fit passer notre noble Jeanne du côté obscur de la force.
Avez-vous toujours en tête la théorie du monomythe de Campbell ? Voici venu le temps à notre héroïne de quitter son monde de la noblesse, pour le territoire plus hostile de la piraterie.
La vengeance porte le nom de Jeanne de Belleville
Soutenue par de nombreux seigneurs bretons, Jeanne vend ses biens et achète un bateau pour faire la guerre de course contre les navires français, y semer la mort et la désolation, et nuire ainsi au roi de France.
Pour renforcer sa flotte, elle arme un bateau et vogua vers l’Angleterre pour rendre visite à Édouard III. Rencontre au cours de laquelle elle précisa :
Je suis Bretonne. Sur la mer, rien ne m’effraie. Donnez-moi une flotte et les Français souffriront.
Edouard se laisse convaincre et lui donne trois vaisseaux de guerre qui constituent « la Flotte de représailles de la Manche ». Et devinez quel nom Jeanne de Belleville donna à son propre vaisseau ? Nous vous le donnons en mille :
Vengeance.
Durant plusieurs années, dans la Manche, elle arraisonne de nombreux navires de commerce français et même quelques navires de guerre. L’équipage ennemi vaincu était généralement massacré et Jeanne, à coups de hache, tranchait volontiers les têtes en guise de représailles pour son défunt mari. Voyons ça comme sa signature de corsaire ! Sur l’échelle de la vengeance et de la cruauté, nous sommes clairement à 11 sur 10.
Sa cruauté n’avait d’égal que son esprit vengeur et c’est cette réputation qui lui valut le surnom de « Tigresse de Bretagne ». Il ne fait aucun doute que les français craignaient de tomber entre ses griffes. Surtout que pour l’époque, il n’y avait pas plus mauvaise publicité pour la notoriété publique d’un homme que de se prendre une raclée par une femme. Aussi psychopathe soit-elle !
Les funestes prouesses de notre féline Jeanne finirent par excéder Philippe VI en personne, qui ordonna sa capture. Lorsque la flotte de notre Tigresse fut enfin encerclée puis engagée dans un combat perdu d’avance, Jeanne de Belleville se comporta une nouvelle fois comme un monstre. Abandonnant son équipage, elle s’enfuit dans une chaloupe avec quelques hommes et ses fils. Nous voilà désormais à 12 sur 10 sur l’échelle de la vengeance et de la lâcheté.
Lors de cette fuite, son fils cadet mourut au bout du sixième jour. Comme si une force supérieure venait rendre la monnaie de sa pièce à notre incarnation de la vengeance. Jeanne de Belleville s’échoua finalement sur une plage bretonne du côté de Morlaix mais secourue par des partisans de Jean de Montfort, elle put ainsi conserver sa liberté.
Ruinée et bannie du Royaume de France, Jeanne se réfugie à la cour d’Angleterre où elle se remarie en 1349 avec le capitaine Bentley. Elle rentre en France et finit sa vie à Hennebont, en 1359.
Jusqu’à la fin de sa vie elle ne réussira pas à retrouver ses droits ou ses propriétés.
Cependant, l’histoire de cette incroyable famille bretonne ne s’arrête pas là. Puisque c’est son fils aîné, véritable survivant qui parviendra à retrouver ses droits et ses propriétés (et ça sonne énormément comme un Luke Skywalker ça !).
Souvenez-vous de la théorie de Campbell : lorsque notre héros remporte une victoire décisive, il revient de cette mystérieuse aventure avec la faculté de conférer des pouvoirs à ses proches. Voilà l’héritage laissé par Jeanne de Belleville à son fils Olivier de Clisson V, sa légendaire adversité.
De quoi vous faire frissonner dans un prochain article sur Port d’Attache.
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