Il arrive régulièrement de lire et d’entendre que la Bretagne est une région péninsulaire, un bout du monde éloigné de tout. Alors, plutôt que de voir le verre à moitié vide, nous préférons le voir à moitié plein (origines bretonnes obligent). Au contraire, notre péninsule armoricaine est très ouverte sur le monde, tel une main pointant le large dans l’océan Atlantique. Pour démontrer cela, remontons en 1534 sur Saint-Malo, en compagnie de Jacques Cartier qui fut l’un des premiers bretons à se lancer dans la conquête du nouveau monde.
Pas de « Cartier » au pays des Corsaires
Des pirates ? Bon sang non, la cité Corsaire porte là bien son nom.
Les corsaires ne volent aucune cargaison mais la confisquent au profit du roi, ceci le plus « légalement » du monde.
Force est de constater que cette école maritime malouine était l’une des meilleures au monde, tant ses poulains portent des noms prestigieux : René Duguay-Trouin, Robert Surcouf, Mahé de la Bourdonnais et notre fameux Jacques Cartier.
De même, ils ne partent pas explorer pour le plaisir, mais pour la gloire du pays et là-aussi au nom du roi. Une époque où Jacques Cartier sut tirer les bonnes cartes, pour ancrer à jamais son nom dans l’histoire.
Aucun acte de baptême n’est disponible puisque les registres de l’état civil de Saint-Malo manquent de 1472 à 1494. Néanmoins, quelques sources officieuses supposent que l’explorateur est un fils de pêcheur malouin morutier, lui apportant par coutume un apprentissage de mousse et de matelot.
Jacques Cartier, le stratège social
Mais voilà, Cartier est malin et compte bien assouvir sa soif d’explorations et d’aventures, alors comment se faire connaître à une époque où portables et réseaux sociaux ne courraient pas les rues ?
Se faire un nom et grimper l’échelle sociale.
Il épouse en 1520 la fille de Jacques des Granches, connétable du coin, un mariage qui améliore grandement la condition sociale de l’époux. Voilà une porte ouverte pour tisser soigneusement des liens parmi les bourgeois et les officiers municipaux de son port d’attache à Saint-Malo.
Seulement, un simple nom ne suffit pas pour réussir à intégrer cette strate sociale, encore moins pour y survivre parmi les nobles lorsque l’on est fils de morutier. Dans sa malice, Cartier l’avait anticipé et sut là-aussi tirer les bonnes cartes pour attirer l’attention de ses copains pleins aux as.
Parallèlement au domaine maritime, Jacques Cartier s’intéressait également au monde judiciaire, puisqu’en 1518 il avait en sa possession un livre intitulé :
Les loables Coustumes du pays & Duche de Bretagne.
Alors, écrit comme cela, ça sonne drôle, mais à ce moment, cette double compétence valut au futur conquérant de sortir son épingle du jeu. Avec ses connaissances juridiques, Jacques Cartier était souvent sollicité dans les cours de Saint-Malo.
Les archives malouines nous le présentent sous les traits, entre autres, d’un compère, pour les cérémonies baptismales, et d’un témoin ou juré, dans les procédures judiciaires, très recherché de la part de ses concitoyens. Sa technique ? Se montrer partout. Tout comme Zorro qui signe d’un Z à la pointe de son épée, Cartier fait de son nom une marque de noblesse très en vogue.
Et c’est justement pour voguer, qu’il recevra, au fil de ses connaissances une commission du roi de France pour aller découvrir la situation du fleuve Saint-Laurent et de la Nouvelle-France, outre-Atlantique. Champagne !
Un coureur d’aventures à la conquête du Canada
L’année 1534 sonne la première grande aventure du navigateur, le voilà chef d’escadre avec ses deux navires et un équipage de 61 hommes, direction Terre-Neuve. L’occasion de rentrer en contact avec les premiers amérindiens de la Nation Micmac (ça devait être un sacré bordel) au large de la Baie des Chaleurs, à défaut d’un accueil glacial. Les jours suivants, la confiance s’installe entre les marins et les autochtones, avec échanges de colifichets, couteaux, tissus et contre des peaux d’animaux.
Cartier n’en était pas à son premier coup d’essai politique et savait comment mener les foules à son avantage. Une force de conviction qui lui permit d’amener deux fils du chef amérindien Donnacona en France, avec comme idée d’en faire de futurs traducteurs. Car question exploration, il jure de repartir à la conquête du nouveau monde.
La conquête du nouveau monde ne s’est pas faite en un jour
Puisqu’il serait trop long de décliner la totalité des aventures de Jacques Cartier, voici trois dernières anecdotes qui viendront compléter le sujet, pour le plus grand bonheur de votre culture personnelle.
- Unan (1) : son deuxième voyage a lieu en 1535 et cette expédition compte trois navires. La Petite Hermine (60 tonneaux), L’Émérillon (40 tonneaux) et celui qui transporte Cartier, La Grande Hermine (120 tonneaux). Quinze mois de vivres ont été prévus pour se lancer dans cette nouvelle aventure en compagnie de ces navires « Made in BZH ».
- Daou (2) : lors de ce voyage, il découvre avec ses hommes une bourgade sur une colline, entourée de terres cultivées et pleines de maïs. Il nommera Mont Royal cette montagne de l’île et on vous le donne dans le mille, elle est aujourd’hui nommée Montréal.
- Tri (3) : Lors de son troisième voyage au Canada, Jacques Cartier accumule « l’or et les diamants », qu’il négocie avec les Iroquoiens du Saint-Laurent, qui disent les avoir ramassés près du camp. En 1542, Cartier lève le camp et met le cap vers la France malgré l’ordre de son supérieur de rester. La folie des grandeurs aurait-elle touchée notre fin tacticien ? Aussitôt arrivé en France, il fait expertiser le minerai, apprenant qu’il ne rapporte que de la pyrite et du quartz, sans valeur.
Cette dernière mésaventure est à l’origine de l’expression :
« Faux comme des diamants du Canada. »
Belle carrière pour un simple « péninsulaire » à la volonté de fer. Et dans le domaine de l’exploration, il n’est pas le seul breton à avoir brillé dans l’histoire. Après le Canada et ses Iroquois, découvrez les pyramides et ses pharaons en compagnie de Frédéric Cailliaud.