Le drame de l’abri Sadi-Carnot : la cicatrice de guerre brestoise

Culture Le drame de l’abri Sadi-Carnot : la cicatrice de guerre brestoise

Cette semaine, je vous propose de retourner avec moi dans le passé pour nous plonger dans l’effroyable Seconde Guerre mondiale. Notre histoire se passe à Brest, le 9 septembre 1944. La cité du Ponant subit un nouveau bombardement des alliés pour libérer la ville des griffes allemandes. Tout commence 3 semaines plus tôt, quand la sirène du SAIP retentit. Les allemands et les quelques brestois restés en ville accourent vers l’abri Sadi-Carnot pour se protéger pendant une période indéterminée. Mais l’Histoire rendra funeste leur destiné. Retour sur un terrible épisode de la Seconde Guerre mondiale, le drame de l’abri Sadi-Carnot.

Juin 1940 : Les allemands entrent dans le port

L’histoire débute au début du mois de Juin 1940. L’état français apprend que les troupes de la Wehrmarcht avancent rapidement vers l’ouest : un vrai rouleau compresseur, déterminé à traverser toute la France jusqu’à l’Atlantique. Leur progression pousse la marine française à évacuer sur le champ la quasi-totalité de sa flotte.

Le lendemain de l’appel du 18 Juin 1940, les allemands entrent dans la soirée à Brest, après avoir capturé Morlaix le matin même. Depuis le début de la guerre, Adolf Hitler souhaite prendre le port de Brest et ses alentours. C’est une position stratégique car il est un carrefour important pour l’armée Française et ses alliés. Avec la prise de Brest, les allemands coupent les vivres de leurs ennemis par la voie terrestre. Brest se retrouve également imprenable par la mer.

1940-1943 : une vie entre bombardements et appréhension

Depuis le début de l’occupation, brestois et allemands co-habitent. Difficilement bien entendu. Mais les batailles terrestres se passent plus à l’est donc les tensions sont moins intenses sur la pointe finistérienne. Le danger vient paradoxalement des alliés : dans l’impossibilité de débarquer par la mer, et bloqués par les allemands sur le front terrestre, ils choisissent d’attaquer par les airs. Depuis le début du conflit, ils bombardent régulièrement la ville pour ralentir les différents projets navals de l’occupant. Mais les brestois sont les premiers à être touchés.

C’est dans ce contexte sanglant que les autorités nationales lancent le projet de construction d’abris anti-bombardement. 4 sont prévus, seulement 2 seront réalisés.

Ils construisent l’abri Sadi-Carnot en 1 an, et est utilisable dès 1943.

Abri Sadi-Carnot : taillé pour durer

L’abri est un tunnel long de 300 mètres environ, allant de la place Sadi-Carnot rue Emile Zola, jusqu’à la porte militaire Tourville située sur l’actuel Boulevard de la Marine. D’une profondeur d’approximativement 25 mètres, il faut descendre les 154 marches pour accéder à un endroit, peu accueillant car totalement vide.

En 1943, les bombardements se font de plus en plus réguliers. Venir s’y protéger le temps du largage des bombes alliés est donc quotidien, et les habitants s’y habituent. Jusqu’à la veille du 14 août 1944…

L’évacuation générale du 14 août 1944

Une information parvient aux oreilles des autorités locales. Les troupes américaines du Général Troy Middleton sont aux portes de la cité. Ils mettent en place un siège pour encercler l’occupant. Pour soutenir les troupes aux sols, les bombardements seront ininterrompus jusqu’à la libération. L’évacuation des civils est donc la priorité.

Un véhicule circule dans les rues déjà fortement détruites et appelle les brestois à quitter le plus rapidement possible la ville. Si les chiffres ne sont pas précis quant au nombre de rescapés fuyant l’horreur, l’histoire atteste qu’une grande partie de la cité a été évacuée dès 1943 avec plus de 20 convois vers des départements refuge comme le Loir-et-Cher et la Sarthe. Restent quelques irréductibles n’ayant pas de point de chute ainsi que les autorités civiles et les services de secours, qui se dirigent vers les 2 abris anti-bombardements.

Le début du Drame de l’Abri Sadi-Carnot

27 jours. 27 jours que les civils sont entassés dans l’abri Sadi-Carnot, passant d’un statut « de secours » le temps d’un raid aérien, à une solution permanente pour se protéger. Ils ne connaissent que quelques instants de répits entre deux affrontements à la surface. Donnant à leur vie, un arrière goût de terreur.

Le 14 août, l’abri est coupé en deux : la partie basse vers la Porte Tourville est réquisitionnée par les allemands et est séparée par simple cloison en bois du reste de l’abri, destiné aux brestois. Des lits de fortunes sont aménagés, des cuisines et latrines primitives sont installées, une vie sous la ville bat son plein dans la peur et l’attente d’une libération. Arrive la nuit du 9 septembre 1944.

Une explosion assourdissante

2h25 du matin
Suite à une – probable – manoeuvre d’un soldat, un incendie éclate au niveau des groupes électrogènes dans la partie basse de l’abri. Quelques civils endormis se réveillent, et décident d’avancer jusqu’à la sortie de l’abri pour éviter la fumée, prévenant au passage les autres civils. Malheureusement le temps presse.

2h30 du matin
L’incendie atteint un stock de munitions. S’en suit une explosion assourdissante. La population comprend rapidement que la situation est critique. Une foule en panique commence à se diriger vers la sortie, mais c’est déjà trop tard. L’explosion est tellement violente qu’elle embrase tout le tunnel avec une puissance de feu tel un canon.

Si quelques civils réussissent à sortir à temps, les autres restent coincées, et finissent calcinés, ou expulsés contre les parois à cause de l’onde de choc de l’explosion. L’intoxication liée à la fumée aura raison des derniers survivants.

375 brestois périront à priori lors de ce funeste épisode de la Seconde Guerre mondiale.

Côté pertes allemandes, les historiens sont indécis, par manque de sources et d’informations.

Pour honorer la mémoire des disparus, et ne jamais oublier le drame de l’abri Sadi-Carnot, des stèles et des pierres tombales ornent les entrées de l’abri.

Une légende raconte qu’un calice créé avec des bijoux retrouvés sur les corps sans vie des victimes existerait. Mais il est néanmoins compliqué de le confirmer car il n’a jamais été retrouvé.

Et enfin depuis 8 ans, l’abri Sadi-Carnot est ouvert au public pour permettre aux visiteurs de découvrir ce lieu gorgé d’histoires et d’émotions.

Si vous souhaitez découvrir d’autres récits en rapport avec l’Histoire de la Bretagne, Port d’attache vous invite à partir à la conquête du phare hanté de Tévennec en compagnie de Justin.

La rédaction de cet article a été effectué en regroupant plusieurs sources diverses. Malheureusement peu nombreuses, et toutes n’ayant pas le même discours, certains faits sont des hypothèses, mais les plus probables.
Je souhaite remercier tout particulièrement les Archives Municipales de Brest qui, après une relecture, m’ont permis d’éclaircir quelques zones d’ombres.

Brestois pur beurre, j'y suis né et j'y ai grandi. Autant dire que l'air iodé et l'océan, ça me plait. Mais le melting-pot de mon père prend de temps en temps le dessus. Donc le voyage et la curiosité m'attirent régulièrement.
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